L'éruption de la fin : les "opéras-catastrophe"
Le « film-catastrophe » est un genre qui a fait florès quasiment dès l’invention du septième art. L’un des tout premiers est tourné par Georges Méliès en 1902. Ce « très court métrage » d’à peine deux minutes est diffusé sous le titre Éruption volcanique à la Martinique et fait bien évidemment référence au désastre qui vient alors de ravager la ville de Saint-Pierre. Mais ce genre ne se limite pas seulement au cinéma...
L’une des premières œuvres représentatives du grand opéra romantique français, La Muette de Portici, de Daniel-François-Esprit Auber, sur un livret d’Eugène Scribe et de Germain Delavigne, s'achève par une éruption volcanique. L’ouvrage, créé à l’Opéra de Paris en 1828, s’achève sur l’explosion du Vésuve.


Pour la réalisation de cette scène spectaculaire, le chef-machiniste de l’Opéra de Paris prend conseil auprès d’Alessandro Sanquirico, son homologue à la Scala de Milan. En 1827, le célèbre théâtre italien avait repris un ouvrage de Giovanni Pacini, L’Ultimo Giorni di Pompei, créé deux ans auparavant au Teatro San Carlo de Naples. La production milanaise de ce « Dernier jour de Pompéi » s’achevait également sur de grandioses effets pyrotechniques et servit ainsi de modèle à celle de La Muette de Portici dans la capitale française.

Le 25 août 1830, La Muette de Portici, qui est représentée pour la première fois Outre-Quiévrain, déclenche effectivement une éruption, celle du peuple belge. L’air « Amour sacré de la patrie », qui retentit au second acte, exalte les sentiments nationaux des spectateurs de l’Opéra Royal de la Monnaie, à Bruxelles. À l’issue de la représentation, un attroupement se forme devant le théâtre et dégénère rapidement en émeute insurrectionnelle. Les troubles s’étendent à tout le pays et trouvent leur aboutissement dans la déclaration d’indépendance du 4 octobre 1830, par laquelle la Belgique se sépare du Royaume-Uni des Pays-Bas et s’affirme en tant qu’état à part entière.
Les vicissitudes de La Muette de Portici ne s’arrêtent pas aux journées révolutionnaires de 1830. En novembre 1862, lors d’une répétition en vue d’une reprise à l’Opéra de Paris, l’ouvrage est le théâtre d’un drame véritable cette fois. Emma Livry, interprète du rôle principal, dansé et mimé puisque le personnage de Fenella est censé être privé de l’usage de la parole, frôle une rampe d’éclairage au gaz avec son tutu, qui s’enflamme instantanément. La ballerine succombe à ses brûlures le 26 juillet 1863, au terme d’une agonie de huit mois.

Entre temps, le « filon » vésuvien est à nouveau exploité par Félicien David, qui fait représenter pour la première fois son Herculanum à l’Opéra le 4 mars 1859. Le livret est dû à Joseph Méry, passé à la postérité en tant que collaborateur de Verdi pour la version française de Don Carlos. Herculanum, largement oublié en dépit de quelques tentatives récentes de résurrection, obtient, lors de sa création, un très gros succès, en raison notamment d’une scénographie particulièrement réussie. Les concepteurs des décors, Charles Cambon et Joseph Thierry, sont de ce fait sollicités pour la tragique reprise de La Muette de Portici de 1862-1863 (cf. supra).

La fascination que les nuées ardentes et les fleuves de lave exercent sur les dramaturges du dix-neuvième siècle trouve en partie son origine dans l’éruption, en 1815, du Tambora (ou Tomboro), un volcan indonésien. Le désastre fait plus de 90000 victimes, chamboule le climat et fait de 1816 une «année sans été». La quasi-absence de soleil et le froid glacial qui s’abattent sur la Terre inspirent à Lord Byron le poème Darkness – publié en France sous le titre Les Ténèbres -, qui a un grand retentissement dans les milieux littéraires et artistiques. La fascination que les nuées ardentes et les fleuves de lave exercent sur les dramaturges du dix-neuvième siècle trouve en partie son origine dans l’éruption, en 1815, du Tambora (ou Tomboro), un volcan indonésien. Le désastre fait plus de 90000 victimes, chamboule le climat et fait de 1816 une « année sans été ». La quasi-absence de soleil et le froid glacial qui s’abattent sur la Terre inspirent à Lord Byron le poème Darkness – publié en France sous le titre Les Ténèbres -, qui a un grand retentissement dans les milieux littéraires et artistiques.

Les soubresauts des volcans et leurs conséquences tragiques ne sont cependant pas les seules calamités qui ont inspiré les librettistes et les compositeurs d’opéras. Des sujets parfois très inattendus ont stimulé leur imagination.
Ainsi, dans La Wally, ouvrage mis en musique par Alfredo Catalani, c’est une avalanche déclenchée par les cris de l’héroïne qui conduit à la catastrophe finale : Giuseppe Hagenbach, son amoureux, est emporté par la coulée de neige et Wally, horrifiée, se donne la mort en se jetant dans un ravin.
Le texte, adapté pour la scène lyrique par Luigi Illica – futur collaborateur attitré de Puccini –, trouve son origine dans un roman de Wilhelmine von Hillern, Die Geier-Wally, paru à Berlin en 1875 et traduit en français dès 1877 sous le titre La Fille au vautour.

Les malédictions bibliques et les peurs millénaristes sont elles aussi sollicitées par les concepteurs de productions à grand spectacle.
De manière un peu inattendue, Gaetano Donizetti s’essaye lui aussi au genre avec Il Diluvio universale, créé au San Carlo de Naples le 6 mars 1830. En dépit de la présence de l’une des plus grandes stars du chant lyrique d’alors, la basse Luigi Lablache, dans le rôle de Noé, ce Déluge est un demi-échec et ne survit pas à l’épreuve du temps.

Le compositeur Albert Grisar et ses librettistes Mélesville et Foucher choisissent, eux, le registre de la parodie avec L’An mil, créé à l’Opéra-comique le 23 juin 1837. Les peurs paniques qui agitaient les populations européennes à l’approche du second millénaire sont tournées en dérision et ravalées au rang de conversations de pochtrons.

Mais là aussi, les désastres de carton-pâte s’avèrent les prémonitions de catastrophes réelles. À peine six mois après la première de L’An mil, la salle Favart, qui est à la fois la « maison » de l’Opéra-comique et du Théâtre Royal Italien, est entièrement détruite par un incendie dans la nuit du 14 au 15 janvier 1838. Reconstruit en 1840, l’édifice brûle à nouveau en 1887, faisant 84 morts.

L’opéra-catastrophe tombe plus ou moins en désuétude au XXème siècle, ne pouvant rivaliser avec le cinéma. Grâce au progrès technique, le septième art dispose de moyens toujours plus puissants pour simuler tremblements de terre, ruptures de barrages, accidents ferroviaires, crashes aériens et autres calamités naturelles ou technologiques, impossibles à reproduire avec un minimum de réalisme sur une scène de théâtre.
Au tournant du XXIème siècle, les nouvelles angoisses qui saisissent les populations, notamment autour des questions environnementales, réveillent l’imagination des créateurs lyriques. En 2022, le compositeur finlandais Uljas Pulkkis créé à l’académie Sibelius, à Helsinki, All the Truths We Cannot See: A Chernobyl Story, opéra inspiré par la catastrophe qui avait touché la centrale nucléaire soviétique.
L’année suivante, c’est le Belge Bernard Foccroulle, qui détourne la figure mythologique de Cassandre, devenue « Sandra », une jeune scientifique dénonçant dans l’indifférence générale les ravages attribués au changement climatique. En 2023 toujours, l’Opéra de Montpellier présente à son public une œuvre au titre explicite, Climat, dont la partition est signée de Russell Hepplewite, jeune musicien britannique.
Enfin, toujours sur la thématique du « dérèglement » de la nature, l’Opéra de Lyon met à l’affiche de sa saison 2024-2025 Le Sang du glacier, une pièce commandée à un trio féminin, Claire-Mélanie Sinnhuber (musique), Lucie Vérot Solaure (livret) et Angélique Clairand (mise en scène). L’Histoire décidera de la postérité de ces nouvelles « apocalypses lyriques ».
Pour aller plus loin :
Olivier Bara, Un volcan peut en cacher un autre. Éruptions populaires dans Masaniello et La Muette de Portici (1827-1828)
Frédérique Lambert, Le motif populaire du volcan dans le film catastrophe : irruptions et éruptions sur l’écran de cinéma